La biographie complete de
Robert Nesta Marley
Superstar du Reggae et prophète
rasta, Bob Marley reste une des principales icônes du monde contemporain.
Disparu prématurément en 1980, il a transformé un style
issu de la musique populaire jamaïcaine en un mouvement majeur.
Phénomène plutôt rare, Bob Marley est à la fois adulé
du grand public, qui découvrit le reggae avec lui, et des connaisseurs
les plus exigeants. Retour sur la vie et luvre du Duppy conqueror.
Lenfance dun chef
"Them belly full but we hungry/ A hungry mob is an angry mob/A rain a fall but the dirt is tough/ A pot a cook but the food no nough". Them belly full
Robert Nesta Marley naît le 6 février 1945 à St-Ann, dans la paroisse de Nine Miles. Fils d'un capitaine blanc de la marine parti une fois son forfait commis et d'une paysanne jamaïcaine noire, il découvre la difficulté dêtre métisse, pris entre deux mondes qui signorent. Adolescent, il quitte la campagne pour Kingston, comme beaucoup de jamaïcains que la misère poussent vers les villes. Pourtant, le travail y est rare et Bob vit à Trenchtown, sordide ghetto où se concentrent la pauvreté, le crime et la crasse, dans une promiscuité bien peu poétique au premier abord. Là, il rencontre Bunny Livingston, puis Peter Mackintosh, comme lui passionnés de musique. Peter joue un peu de guitare et les trois amis chantent les tubes de Rythm'n'Blues entendus sur les radios de Miami.
Bob Marley enregistra son premier morceau, Judge not, à 16 ans, en 1961. Une industrie musicale commençait à se développer à Kingston, de façon désordonnée. Le taux de chômage était alors de 35 %. Il venait de laisser tomber son job de soudeur. Judge Not passe inaperçu mais Bob persiste. En 1964, il forme les Wailing Wailers
avec Peter Tosh et Bunny Wailer. Bientôt, ils signent un contrat avec le Studio One, le label de Clement "Coxsone" Dodd. Leur premier titre, Simmer Down, sera le tube de 1961 en Jamaïque. Devenus les Wailers, ils travaillent avec Leslie Kong, puis avec Lee "Scratch" Perry. A chaque fois la collaboration est fructueuse sur le plan artistique mais décevante sur le plan financier. En Jamaïque, les droits dauteurs ne signifient pas grand chose, et même les chanteurs à succès ne parviennent pas, alors, à vivre de leur production. Les Wailers ne perçoivent que très peu d'argent tout en étant d'énormes vedettes locales. Cheveux courts, costumes chics, les Wailers jouent du ska et du Rock Steady. La compétition, alors, est rude. Pour beaucoup de jeunes du ghetto, la musique constitue un espoir de sortir de la misère. En 1971, la chanson Trenchtown Rock cartonne dans toute l'île.
See Rasta
Jusquen 66, dailleurs, la musique de Bob Marley reposait encore pour une très large part sur cette glorification du style de vie urbain des voyous jamaïcains. De Rude boy à Steppin razor, lhymne des caïds de Kingston chanté par Peter Tosh, en passant par Rule them ruddy ou Im the toughest (aussi chanté par Peter, et repris par une foultitude dartistes, dont Johnny Clarke et I-Roy), le jeune Marley assumait le style rocker pour épater la galerie. Il faut attendre sa rencontre avec Mortimo Planno, figure tutélaire du mouvement rasta à Kingston, pour que Bob se laisse pousser les dreads et laisse tomber les bracelets cloutés. Peu après, Vernon Carrington "Gad the prophet" pour les Rastas et fondateur de lEglise des 12 tribus dIsraël poursuivit léducation spirituelle de Bob Marley, bien que la star se défendra plus tard davoir eu besoin de quiconque pour trouver sa voie (cest bien naturel) :
"You have to look inside yourself to see rasta. Every Black is a rasta, dem only have to look inside themselves. No one had to tell me. Jah told me himself. I and I look inside I self and I saw Jah Rastafari".
Gad révéla donc à Bob le secret des 12 tribus dIsraël, selon lequel chaque personne appartient à une de ces tribus en fonction de son mois de naissance. Pour Bob, cest clair, il est né en février, donc il appartient à la tribu de Joseph. Dailleurs, dans Redemption song, Bob se présente comme la réincarnation de Joseph, fils de Jacob : "but my hand was strenghtened by the hand of the almighty".
A la fin des années 60, les Wailers devinrent le premier groupe jamaïcain populaire à faire de la philosophie et des rythmes rastas le fondement de leur musique. Les Wailers avaient accompli un chemin musical et spirituel denvergure, donnant naissance à un mouvement culturel original et infléchissant l'évolution du reggae comme aucun autre artiste. Depuis un titre comme Simmer down, (1964, morceau écrit par Bob Marley et enregistré au Studio One) où le jeune Bob Marley sépoumone sur un beat très ska avec un chorus reprenant le refrain, le groupe a imprimé une marque indélébile à cette musique.
"I and I are of the house of David. Our home is Timbuktu, Ethiopia, Africa, where we enjoyed a rich civilization long before the coming of the Europeans. Marcus Garvey said that a people without knowledge of their past is like a tree without roots".
Bientôt, la plupart des stars du reggae devinrent rastas et, en retour, le reggae devint le principal vecteur dexpression de la culture rasta et de ses revendications. Des chanteurs comme Marley devinrent plus que des amuseurs. Ils étaient des révolutionnaires (revolutionnary workers) et des représentants des pauvres de Kingston, chez qui leur message arrivait par la radio, comme dans tous les foyers de lîle.
"Them belly full but we hungry/ A hungry mob is an angry mob/ A rain a fall but the dirt is tough/ A pot a cook but the food no nough".
Par ces mots simples chantés avec une voix squelettique, Marley diffusa au sein du peuple jamaïcain des éléments de conscience politique. Il sen prit au système raciste (skinocratic system) de la Jamaïque, qui plaçait les blancs en haut de léchelle sociale, les mulâtres au milieu et les noirs en bas. Dans Crazy baldhead, il chante :
"Didnt my people before me/ Slave for this country/ Now you look me with a scorn/ Then you eat up all my corn".
En 1967, Marley cessa denregistrer, quitta Kingston et retourna dans son village natal de St. Ann mountain. Dans ces collines, il conclut son engagement envers Jah Rastafari, donnant une inclinaison définitive à sa vie, à sa musique et au mouvement rasta lui-même. Pendant un an, Bob adopta le style de vie rasta. Lorsquil revint à Kingston à la fin de 68, il sengagea dans le combat musical grâce auquel il demeure célèbre. Ironie du sort, Marley sétait isolé au moment où le monde changeait, où la jeunesse exprimait son ras-le-bol et son désir de nouveauté, comme si cet isolement avait été nécessaire, au milieu de la fureur, pour venir proposer aux masses occidentales une nouvelle spiritualité.
Les premières chansons à connotation religieuse de Bob Marley parurent en 1968. Il sagit de Selassie I is the temple, Duppy conqueror, Small axe et Trench town rock.
Pour Marley comme pour de nombreux rastas, les noirs sont une tribu perdue dIsraël. Ils se considèrent comme les véritables Hébreux et tiennent les occupants actuels dIsraël pour des imposteurs.
Bien que certains rasta extrémistes (secte Nyabinghi) considèrent quil faut tuer loppresseur blanc, tous les rastas refusent de porter les armes. Comme lexplique Bongo-U, un guérisseur rasta de Montego Bay, "La violence est laissée à Jah. Seul Dieu a le droit de détruire". Les Rastas croient à la force spirituelle et au pouvoir des éléments : tremblement de terre, le tonnerre, léclair. Selon le précepte biblique, les Rastas sinterdisent de manger lorsque dautres meurent de faim. Ils vivent en communauté, partageant leurs biens et séchangeant des services.
Au milieu des années 60, lorsque la violence connut de nouvelles flambées dans les ghettos de Kingston Ouest, la police et le gouvernement sen prirent aux Rastas, brûlant leurs maisons et les mettant à la rue. Au plus fort de la répression, les forces de police détruisirent le quartier de Black o wall, un endroit du bidonville où vivaient de nombreux rastas, dans des cabanes faites de bois et de tôle. A laube, alors que la population dormait, les policiers arrivèrent à la tête dun convoi de bulldozers pour raser lendroit. Dans la panique, beaucoup de femmes, denfants et dhommes furent blessés et nombreux furent arrêtés. Ces épisodes inspirèrent un grand nombre de reggaemen, qui trouvaient là matière à actualiser leur combat contre loppression, contre linjustice et contre Babylone, ancrant le reggae dans une réalité politique, géographique et sociale particulièrement passionnée.
Naturellement, la répression dont était victime le mouvement rasta, loin de laffaiblir, renforçait sa popularité. Ses effectifs continuèrent daugmenter tandis que le style rasta imprégnait désormais toute la société jamaïcaine. A létroit dans les villes, les Rastas historiques encouragèrent bientôt les jeunes à développer des communautés à la campagne, loin du "shitstem" (= système de merde). Les Rastas ont une culture de lautonomie, fondée sur la pêche, la culture et lartisanat. Cet appel à déserter Babylone se traduisit par une profusion artistique, les peintres, les sculpteurs sur bois et tous les autres Rastas doués dun quelconque talent se mettant à transformer de nombreux endroits de lîle à commencer par Kingston en un lieu dexposition et de méditation autour dobjets et de compositions de toutes sortes. Ce dynamisme culturel attire aujourdhui un grand nombre de touristes sur lîle. Néanmoins, le principal impact de ce mouvement concerne le reggae, vers lequel affluèrent un grand nombre de jeunes désuvrés, auparavant engagés dans des bandes et cherchant désormais à gagner leur vie et à développer leur talent dans la musique. Un type comme Dillinger est représentatif de cette mouvance des "rude boys" transformés en reggaeman certes survolté par linfluence des communautés rastas.
En 72, durant les mois qui précédèrent les élections, le Premier Ministre Hugh Shearer, leader du Jamaican Labour Party, décide dinterdire la diffusion des chansons rastas à la radio. Ces efforts étaient dérisoires, le reggae étant partout dans lîle, un marché noir très animé sétant même développé à loccasion de cette interdiction. Le JLP fut dailleurs défait cette année là, tandis que Michael Manley, leader du Peoples National Party, devenait Premier Ministre. Bien que Marley se défendait de faire de la politique ("Me no sing politics, me sing bout freedom"), il devint de facto une force électorale avec laquelle il fallait compter. Les deux camps eurent loccasion de le récupérer (en le citant) ou de le poursuivre en justice.
Comme les Rastas sont en contact direct avec Dieu ils lisent au moins un chapitre de la Bible chaque jour ils nont pas besoin dintermédiaires. De là le rejet de tous les systèmes, quils soient politiques, commerciaux ou administratifs. De même, le mouvement ne peut pas avoir de clergé ni de leader.
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