Superstar du Reggae et prophète
rasta, Bob Marley reste une des principales icônes du monde contemporain.
Disparu prématurément en 1980, il a transformé un style
issu de la musique populaire jamaïcaine en un mouvement majeur.
Phénomène plutôt rare, Bob Marley est à la fois adulé
du grand public, qui découvrit le reggae avec lui, et des connaisseurs
les plus exigeants. Retour sur la vie et luvre du Duppy conqueror.
Lenfance dun chef
"Them belly full but we hungry/ A hungry mob is an angry mob/A rain a fall but the dirt is tough/ A pot a cook but the food no nough". Them belly full
Robert Nesta Marley naît le 6 février 1945 à St-Ann, dans la paroisse de Nine Miles. Fils d'un capitaine blanc de la marine parti une fois son forfait commis et d'une paysanne jamaïcaine noire, il découvre la difficulté dêtre métisse, pris entre deux mondes qui signorent. Adolescent, il quitte la campagne pour Kingston, comme beaucoup de jamaïcains que la misère poussent vers les villes. Pourtant, le travail y est rare et Bob vit à Trenchtown, sordide ghetto où se concentrent la pauvreté, le crime et la crasse, dans une promiscuité bien peu poétique au premier abord. Là, il rencontre Bunny Livingston, puis Peter Mackintosh, comme lui passionnés de musique. Peter joue un peu de guitare et les trois amis chantent les tubes de Rythm'n'Blues entendus sur les radios de Miami.
Bob Marley enregistra son premier morceau, Judge not, à 16 ans, en 1961. Une industrie musicale commençait à se développer à Kingston, de façon désordonnée. Le taux de chômage était alors de 35 %. Il venait de laisser tomber son job de soudeur. Judge Not passe inaperçu mais Bob persiste. En 1964, il forme les Wailing Wailers
avec Peter Tosh et Bunny Wailer. Bientôt, ils signent un contrat avec le Studio One, le label de Clement "Coxsone" Dodd. Leur premier titre, Simmer Down, sera le tube de 1961 en Jamaïque. Devenus les Wailers, ils travaillent avec Leslie Kong, puis avec Lee "Scratch" Perry. A chaque fois la collaboration est fructueuse sur le plan artistique mais décevante sur le plan financier. En Jamaïque, les droits dauteurs ne signifient pas grand chose, et même les chanteurs à succès ne parviennent pas, alors, à vivre de leur production. Les Wailers ne perçoivent que très peu d'argent tout en étant d'énormes vedettes locales. Cheveux courts, costumes chics, les Wailers jouent du ska et du Rock Steady. La compétition, alors, est rude. Pour beaucoup de jeunes du ghetto, la musique constitue un espoir de sortir de la misère. En 1971, la chanson Trenchtown Rock cartonne dans toute l'île.
See Rasta
Jusquen 66, dailleurs, la musique de Bob Marley reposait encore pour une très large part sur cette glorification du style de vie urbain des voyous jamaïcains. De Rude boy à Steppin razor, lhymne des caïds de Kingston chanté par Peter Tosh, en passant par Rule them ruddy ou Im the toughest (aussi chanté par Peter, et repris par une foultitude dartistes, dont Johnny Clarke et I-Roy), le jeune Marley assumait le style rocker pour épater la galerie. Il faut attendre sa rencontre avec Mortimo Planno, figure tutélaire du mouvement rasta à Kingston, pour que Bob se laisse pousser les dreads et laisse tomber les bracelets cloutés. Peu après, Vernon Carrington "Gad the prophet" pour les Rastas et fondateur de lEglise des 12 tribus dIsraël poursuivit léducation spirituelle de Bob Marley, bien que la star se défendra plus tard davoir eu besoin de quiconque pour trouver sa voie (cest bien naturel) :
"You have to look inside yourself to see rasta. Every Black is a rasta, dem only have to look inside themselves. No one had to tell me. Jah told me himself. I and I look inside I self and I saw Jah Rastafari".
Gad révéla donc à Bob le secret des 12 tribus dIsraël, selon lequel chaque personne appartient à une de ces tribus en fonction de son mois de naissance. Pour Bob, cest clair, il est né en février, donc il appartient à la tribu de Joseph. Dailleurs, dans Redemption song, Bob se présente comme la réincarnation de Joseph, fils de Jacob : "but my hand was strenghtened by the hand of the almighty".
A la fin des années 60, les Wailers devinrent le premier groupe jamaïcain populaire à faire de la philosophie et des rythmes rastas le fondement de leur musique. Les Wailers avaient accompli un chemin musical et spirituel denvergure, donnant naissance à un mouvement culturel original et infléchissant l'évolution du reggae comme aucun autre artiste. Depuis un titre comme Simmer down, (1964, morceau écrit par Bob Marley et enregistré au Studio One) où le jeune Bob Marley sépoumone sur un beat très ska avec un chorus reprenant le refrain, le groupe a imprimé une marque indélébile à cette musique.
"I and I are of the house of David. Our home is Timbuktu, Ethiopia, Africa, where we enjoyed a rich civilization long before the coming of the Europeans. Marcus Garvey said that a people without knowledge of their past is like a tree without roots".
Bientôt, la plupart des stars du reggae devinrent rastas et, en retour, le reggae devint le principal vecteur dexpression de la culture rasta et de ses revendications. Des chanteurs comme Marley devinrent plus que des amuseurs. Ils étaient des révolutionnaires (revolutionnary workers) et des représentants des pauvres de Kingston, chez qui leur message arrivait par la radio, comme dans tous les foyers de lîle.
"Them belly full but we hungry/ A hungry mob is an angry mob/ A rain a fall but the dirt is tough/ A pot a cook but the food no nough".
Par ces mots simples chantés avec une voix squelettique, Marley diffusa au sein du peuple jamaïcain des éléments de conscience politique. Il sen prit au système raciste (skinocratic system) de la Jamaïque, qui plaçait les blancs en haut de léchelle sociale, les mulâtres au milieu et les noirs en bas. Dans Crazy baldhead, il chante :
"Didnt my people before me/ Slave for this country/ Now you look me with a scorn/ Then you eat up all my corn".
En 1967, Marley cessa denregistrer, quitta Kingston et retourna dans son village natal de St. Ann mountain. Dans ces collines, il conclut son engagement envers Jah Rastafari, donnant une inclinaison définitive à sa vie, à sa musique et au mouvement rasta lui-même. Pendant un an, Bob adopta le style de vie rasta. Lorsquil revint à Kingston à la fin de 68, il sengagea dans le combat musical grâce auquel il demeure célèbre. Ironie du sort, Marley sétait isolé au moment où le monde changeait, où la jeunesse exprimait son ras-le-bol et son désir de nouveauté, comme si cet isolement avait été nécessaire, au milieu de la fureur, pour venir proposer aux masses occidentales une nouvelle spiritualité.
Les premières chansons à connotation religieuse de Bob Marley parurent en 1968. Il sagit de Selassie I is the temple, Duppy conqueror, Small axe et Trench town rock.
Pour Marley comme pour de nombreux rastas, les noirs sont une tribu perdue dIsraël. Ils se considèrent comme les véritables Hébreux et tiennent les occupants actuels dIsraël pour des imposteurs.
Bien que certains rasta extrémistes (secte Nyabinghi) considèrent quil faut tuer loppresseur blanc, tous les rastas refusent de porter les armes. Comme lexplique Bongo-U, un guérisseur rasta de Montego Bay, "La violence est laissée à Jah. Seul Dieu a le droit de détruire". Les Rastas croient à la force spirituelle et au pouvoir des éléments : tremblement de terre, le tonnerre, léclair. Selon le précepte biblique, les Rastas sinterdisent de manger lorsque dautres meurent de faim. Ils vivent en communauté, partageant leurs biens et séchangeant des services.
Au milieu des années 60, lorsque la violence connut de nouvelles flambées dans les ghettos de Kingston Ouest, la police et le gouvernement sen prirent aux Rastas, brûlant leurs maisons et les mettant à la rue. Au plus fort de la répression, les forces de police détruisirent le quartier de Black o wall, un endroit du bidonville où vivaient de nombreux rastas, dans des cabanes faites de bois et de tôle. A laube, alors que la population dormait, les policiers arrivèrent à la tête dun convoi de bulldozers pour raser lendroit. Dans la panique, beaucoup de femmes, denfants et dhommes furent blessés et nombreux furent arrêtés. Ces épisodes inspirèrent un grand nombre de reggaemen, qui trouvaient là matière à actualiser leur combat contre loppression, contre linjustice et contre Babylone, ancrant le reggae dans une réalité politique, géographique et sociale particulièrement passionnée.
Naturellement, la répression dont était victime le mouvement rasta, loin de laffaiblir, renforçait sa popularité. Ses effectifs continuèrent daugmenter tandis que le style rasta imprégnait désormais toute la société jamaïcaine. A létroit dans les villes, les Rastas historiques encouragèrent bientôt les jeunes à développer des communautés à la campagne, loin du "shitstem" (= système de merde). Les Rastas ont une culture de lautonomie, fondée sur la pêche, la culture et lartisanat. Cet appel à déserter Babylone se traduisit par une profusion artistique, les peintres, les sculpteurs sur bois et tous les autres Rastas doués dun quelconque talent se mettant à transformer de nombreux endroits de lîle à commencer par Kingston en un lieu dexposition et de méditation autour dobjets et de compositions de toutes sortes. Ce dynamisme culturel attire aujourdhui un grand nombre de touristes sur lîle. Néanmoins, le principal impact de ce mouvement concerne le reggae, vers lequel affluèrent un grand nombre de jeunes désuvrés, auparavant engagés dans des bandes et cherchant désormais à gagner leur vie et à développer leur talent dans la musique. Un type comme Dillinger est représentatif de cette mouvance des "rude boys" transformés en reggaeman certes survolté par linfluence des communautés rastas.
En 72, durant les mois qui précédèrent les élections, le Premier Ministre Hugh Shearer, leader du Jamaican Labour Party, décide dinterdire la diffusion des chansons rastas à la radio. Ces efforts étaient dérisoires, le reggae étant partout dans lîle, un marché noir très animé sétant même développé à loccasion de cette interdiction. Le JLP fut dailleurs défait cette année là, tandis que Michael Manley, leader du Peoples National Party, devenait Premier Ministre. Bien que Marley se défendait de faire de la politique ("Me no sing politics, me sing bout freedom"), il devint de facto une force électorale avec laquelle il fallait compter. Les deux camps eurent loccasion de le récupérer (en le citant) ou de le poursuivre en justice.
Comme les Rastas sont en contact direct avec Dieu
ils lisent au moins un chapitre de la Bible chaque jour ils nont
pas besoin dintermédiaires. De là le rejet de tous les systèmes,
quils soient politiques, commerciaux ou administratifs. De même,
le mouvement ne peut pas avoir de clergé ni de leader.
Wailers inna Ingland
En 72, alors que les Wailers travaillent sur une musique de film pour Nash en Angleterre, celui-ci les laisse en plan, partant aux États-Unis pour la promo dun de ses disques. Les Wailers sont au bout du rouleau : Peter et Bunny ne supportent plus la grisaille londonienne, et veulent rentrer au pays. Déprimés et fauchés, les Wailers sont au point de rupture, lorsque Bob décide daller voir Chris Blackwell, le patron dIsland, une toute jeune maison de disque. Fils dune famille de planteurs jamaïcains, élevé sur l'île et fan de ses musiques populaires, Blackwell connaît évidemment les Wailers. Il les engage, leur concède une avance et se montre pressé dentamer une collaboration prometteuse.
Bob Marley et les Wailers éditeront une dizaine
dalbums chez Island. Tous furent disques dor (500 000 albums vendus)
en Europe et au Canada. Deux furent disques dor aux États-Unis
(Rastaman Vibration et Uprising).
Bob sen va prématurément
"Theres a natural mystic flowing through
the air/ If you listen carefully now you will hear/ This could be the first
trumpet, might as well be the last
"
Natural mystic
A la fin des années 70, Bob apprend quil est malade. Atteint dun cancer, il sait quil ne lui reste plus beaucoup de temps à vivre. Il décide de poursuivre son uvre, soucieux dexploiter au mieux le laps de temps dont il dispose, pour aider ceux quil a toujours défendus.
En 78, la délégation sénégalaise aux Nations-Unies attribua à Bob Marley la médaille de la paix dans le tiers-monde (Third World peace medal) en remerciement de son influence en tant quartiste au service de la révolution. Pour le Zimbabwe, Marley organisa un concert au Boston Harvard Stadium afin de récolter des fonds pour la nouvelle Nation.
Lorsquil rentre dHarare, où les Wailers viennent de donner un concert en lhonneur de lindépendance du Zimbabwe, le 18 avril 1980, Bob sait quil est en phase terminale. Il travaille comme un lion pour mettre au point le journal de Tuff Gong, son studio denregistrement. Il le baptisa Survival et, malgré lapproche mystique et les passages consignant "les enseignements de Sa Majesté", le journal de Marley faisait leffort de toucher les jeunes. Bob Marley termina sa vie en prenant soin daider durablement les causes pour lesquelles il avait lutté. Il céda les droits dauteur de certaines chansons à une Fondation dont lobjectif était daider les enfants du ghetto à salimenter correctement (the Hunger project). Il laissa aussi un Testament en faveur de la cause africaine :
"I and I made our contribution to the freedom of Zimbabwe. When we say Natty going to dub it up in a Zimbabwe, thats exactly what we mean, " give the people what they want " Now they got what they want do they want more ? " Yes ", the Freedom of South Africa. So Africa unite, unite, unite. Youre so right and lets do it."
En septembre 80, Bob Marley donne son dernier grand concert au Madison Square Garden de New-York, devant 20 000 personnes. Le jour suivant, il est pris dun malaise alors quil court un jogging dans Central Park. Quelques jours après, il a un nouveau malaise, cette fois lors dun concert, à Pittsburgh, au cours de ce qui devait savérer être son dernier show. Bob lutta plusieurs mois contre la maladie, un cancer du cerveau, dans la clinique du Dr. Joseph Issel, en RFA. Il mourut le 11 mai 1981 à Miami, au cours dune escale alors quil rejoignait la Jamaïque pour y vivre ses derniers instants. Il avait 36 ans. Il fut enterré dans un caveau à St. Ann, près de la maison familiale, par sa femme, Rita, qui lembauma comme les Égyptiens et les Africains le faisaient pour leurs rois.
Sa mort fut ponctuée de célébrations divers. Le mercredi 20 mai fut un jour de deuil national. Une cérémonie officielle eut lieu au Stade national, en présence de Sir Florizel Glasspole, le gouverneur général, de Michael Manley, le leader de lopposition, et dEdward Seaga, le premier ministre. Ce dernier annonça lérection dune statue en lhonneur de Bob Marley, la première du genre, dans le Jamaica Park. Il conclut en disant "May his soul find contentment in the achievment of his life and rejoice in the embrace of Jah Rastafari". A ce moment, les milliers de Rastas venus rendre un dernier hommage à leur prophète acclamèrent Jah en reprenant en chur "Rastafari ! Rastafari !". Dans la mort, la société officielle reconnaissait finalement Marley et son Dieu.
Agacés par cette forme de récupération, les Wailers poussèrent les barrières de police, prirent le cercueil dans lequel reposait Bob Marley et lembarquèrent sur une camionnette. Ils partirent, suivis par un cortège incroyable, fait de bus, de voitures, de motos, de vélos et de gens courant derrière cette procession motorisée qui senfonçait dans le cur de la Jamaïque, en direction des montagnes natales de Bob. Edward Seaga, décidé à ne pas se laisser écarter de lévénement, se fit transporter par hélicoptère jusquau temple qui devait accueillir la dépouille. Ce faisant, il arriva avant tout le monde, évitant le trajet sous le soleil, au milieu de la foule. La cérémonie eut lieu dans le plus grand désordre, une foule de plus de 10 000 personnes priant et chantant pour le départ du Dieu du reggae, tandis que les forces de police, à cheval, faisaient mine de vouloir ramener un ordre que personne nentendait troubler.
Quelques événements devenus historiques
- 5 décembre 1976 : La tentative dassassinat de Bob Marley en plein concert ne lempêche pas de conclure sa performance mais le contraint à l'exil
" I have to run like a fugitive to save the
life I live "
Iron Lion Zion
Cet événement historique témoigne de la violence endémique qui règne en Jamaïque et qui conditionne le contexte social, politique et culturel dans lequel le reggae sest développé.
Bob avait accepté de participer au Smile Jamaica concert, programmé au National Heroes Park de Kingston le 5 décembre 1976. Bien quil se défende de faire de la politique, Le concert apparaît clairement comme un soutien de Bob au gouvernement de lépoque, dirigé par Michael Manley, le leader du parti de gauche, le PNPN.
Laffiche du concert 'Smile Jamaica' contenait dailleurs la mention suivante : 'Concert presented by Bob Marley in association with the Cultural Department of the Government of Jamaica'. Bob reçut des menaces de mort de la part des hommes de main du JLP, le parti de droite, convaincu que cette publicité fait à leurs adversaires politiques leur permettrait de gagner les élections à venir.
Quelques jours avant le concert, Bob et sa famille sont victimes dune tentative dassassinat à leur domicile, au 56 Hope Road. Un homme armé débarqua et se mit à tirer sur les personnes présentes. Don Taylor, le manager des Wailers, reçut quatre balles. Rita Marley fut également blessée de plusieurs balles. Bob, lui, fut touché à la poitrine et au bras gauche. Lewis Griffith, un ami de Bob, fut également blessé, assez sévèrement. Heureusement, personne ne fut tué cette nuit là. Choqué, tous se réfugièrent dans les montagnes au-dessus de Kingston, pour se mettre à labri. A ce moment, les Wailers ne savent plus sils doivent participer au concert.
Lorsque le moment de jouer arrive, cest le groupe Third World qui débute le concert, Bob, Bunny et Peter étant absents. Burning Spear, également inscrit au programme, nest pas là non plus. Attirée par laffiche, plus de cinquante mille personnes samassent pourtant sur le lieu de lévénement. Finalement convaincu de venir par talkie-walkie il peut entendre la foule réclamer sa venue Bob descend à Kingston escorté par la police, dans une Volvo rouge où Bunny et Peter ont également pris place. Prévenue de larrivée imminente des Wailers, la foule de Heroess Park exulta, donna à linstant une profonde intensité.
Lorsque Bob arriva sur scène, il sadressa au public pour affirmer sa neutralité et apaiser les conflits latents.
"When me decided ta do dis yere concert two anna 'alf months ago, me was told dere was no politics. I jus' wanted ta play fe da love of da people.
Affaibli, incapable de tenir sa Gibson à cause de sa blessure, Bob annonça quil ne jouerait quune chanson. Sur ce, il entama un set époustouflant de 90 minutes, ouvert avec War. Heureux, victorieux et rigolard, Bob quitta la scène en mimant un cow-boy en plein duel, exhibant sa blessure puis partant dans une danse africaine. Après ce succès, Bob senvola pour Londres, où il devait séjourner 18 mois, à labri des violences de la Jamaïque.
-22 avril 1978 : One love Peace Concert à Kingston : Bob réconcilie pour quelques heures les factions politiciennes qui déchirent la Jamaïque
" Emancipate yourself from mental slavery/
None but ourselves can free our minds
"
Songs of freedom
Cet événement marque le retour triomphant de Bob Marley en Jamaïque après lexil auquel lavait forcé la tentative dassassinat dont il avait été la victime. Au-delà de ces retrouvailles entre le dieu du reggae et ses fans, le concert est une date historique car elle marque la réconciliation, au moins symbolique, entre le Premier Ministre Michael Manley et le leader de lopposition, Edward Seaga. Leur rivalité avait conduit lîle au bord de la guerre civile, les membres de chaque camp sopposant de façon violente dans les rues de Kingston et des autres villes de lîle. Seul Bob Marley était en mesure dinitier un tel rapprochement. Par son charisme, il permet au peuple jamaïcain de retrouver un semblant de paix.
Au début de 1978, deux sujets de conversations occupaient les Jamaïcains. Le premier était la pénurie de produits alimentaires, orchestrée par les Etats-Unis pour déstabiliser le gouvernement de Michael Manley. Le second concernait limminent retour sur lîle de Bob Marley après son exil volontaire aux Etats-Unis.
Les deux partis du pays, le PNP (People's National Party) et le parti de droite, le JLP (Jamaican Labour Party) avaient constitué des groupes armés pour porter dans la rue leur opposition idéologique. Les deux groupes recrutaient des hommes de main dans le ghetto, où les voyous étaient prêts à tout contre quelques dollars. Certains leaders, comme Claudie Massop pour le JLP ou Bucky Marshall pour le PNP, commencèrent même à acquérir un statut de superstar.
Lavion de Bob arriva à Kingston (aéroport Palisadoes/Norman Manley) le 26 février 1978. Dès cet instant, Bob Marley savait que son retour navait de sens que sil parvenait à mettre fin à lescalade de la violence, qui divisait lîle et effrayait ses habitants. Heureusement, le rapprochement avait été initié un peu plus tôt à Londres, début février. Lors dun tournage vidéo, Bob avait été approché par des miliciens des deux camps, venus lui demander sil accepterait de participer à un show, le "One Love Peace Concert", dont lobjectif était de mettre fin aux rivalités meurtrières.
Le concert connut un succès qui dépassa toutes les espérances, dautant que les médias saisirent loccasion pour se pencher sur la situation politique de lîle. Toutes les stars du reggae étaient présentes, dont Jacob Miller, Inner Circle, The Mighty Diamonds, Trinity, Dennis Brown, Culture, Dillinger, Big Youth et Ras Michael and The Sons of Negus. Pour marquer le coup, les Wailers décidèrent de sortir un album dédié à loccasion, Kaya.
Pendant le concert, Bob Marley harangua Michael Manley et Edward Seaga, leur reprochant de persécuter les rastas pour leur amour de lherbe. Il alluma un joint sur scène, puis leur demanda de le rejoindre pour se serrer la main, montrant par leur exemple que le combat politique devait rester un dialogue entre frères :
"To make everything come true, we've got to
be together, yeah, yeah. And to the spirit of the most high, His Imperial Majesty
Emperor Haile Selassie I, run lightning, leading the people of the slaves to
shake hands. . . To show the people that you love them right, to show the people
that you gonna unite, show the people that you're over bright, show the people
that everything is all right.
Watch, watch, watch, what you're doing, because . . . I'm not so good at talking
but I hope you understand what I'm trying to say. I'm trying to say, could we
have, could we have, up here onstage here the presence of Mr. Michael Manley
and Mr. Edward Seaga. I just want to shake hands and show the people that we're
gonna unite . . . we're gonna unite . . . we've got to unite . . . The moon
is high over my head, and I give my love instead. The moon is high over my head,
and I give my love instead."
Pour donner plus de force à cette réconciliation symbolique, Bob exhorta la jeunesse jamaïcaine à travailler pour la paix.
"Yes, the Peace, is really the Youth of Jamaica started it really. Asked me to help and get it together, y'know, knowing that I was one of the victims during the time of the politics. This peace work, it don't stop ... it never stop ... We know it never stop. That mean, we the youth got a work to do."
-18 avril 1980 : Bob Marley fête lindépendance du Zimbabwe
"Every man gotta right to decide his own destiny"
Zimbabwe
Le 17 avril 1980, Bob Marley joue à Harare, au Rufaro Stadium, à loccasion des festivités qui marquent lindépendance du pays. Il avait été invité par le gouvernement nouvellement élu, notamment en raison du soutien apporté à la ZANLA au travers de sa chanson Zimbabwe.
Personne navait songé à indiquer aux Wailers le cadre dans lequel ils allaient jouer : le show était programmé à la suite des cérémonies dindépendance et pour un parterre exclusif de personnalités internationales, dont Robert Mugabe, le nouveau Premier Ministre, le Prince Charles et Indira Gandhi. En tout, 104 chefs dEtat ou représentants assistaient à ce spectacle. De fait, les Wailers furent un peu pris par surprise, nétant pas prêts lorsque le speaker annonça leur show, juste après la fin de la cérémonie dindépendance.
En définitive, les premiers mots prononcés dans le Zimbabwe indépendant, alors que le nouveau drapeau était à peine hissé sur le mat furent
"Ladies and gentlemen, Bob Marley and the Wailers !".
Bob cria "Viva Zimbabwe !", et le show souvrit sur Positive vibrations, avant de se poursuivre par Them belly full. Alors que Marley entamait I shot the sheriff, un chahut impressionnant commença : la foule amassée dehors, à la fois excitée et furieuse dêtre tenue à lécart de lévénement, se mit à sagiter et cassa les portes du stade, provoquant un désordre inattendu. Les forces de lordre intervinrent pour stopper le concert. La police blanche de lex-Rhodesie balança des gaz lacrymogènes sur la foule noire amassée en dehors du stade. Les rythmes joués par Familyman, le bassiste des Wailers, faisaient monter la pression. Lordre ne revint que lorsque les guérilleros de la ZANLA (Zimbabwe African National Liberation Army) traversèrent le stade le poing levé, assurant les personnes présentes que la police ne pouvait pas mettre fin aux célébrations.
Bob Marley revint sur scène après un quart dheure dinterruption, en criant "Freedom !". Un speaker anglais, dune voix pincée, lui annonça par haut-parleur "Bob Marley, you have exactly two minutes left". Marley répondit par la provocation en entamant War, hymne à la paix et à la libération de lAfrique, morceau danthologie créé par la mise en musique du discours prononcé par Heilé Sélassié devant les nations unies.
"Until the ignoble and unhappy regimes/ That
now hold our brothers/ In Angola/ In Mozambique/ South Africa/ In subhuman bondage/
Have been toppled/ Utterly destroyed/ Everywhere is war"
War
Certains spectateurs se joignirent à Bob Marley pour chanter et danser avec lui sur scène, reprenant en chur un refrain adressé aux voisins sud-africains, où lapartheid demeurait : "there will be war until South Africa is free". Les scènes dallégresse se poursuivirent, la foule étant désormais rassurée sur son avenir. La fête devenait une façon de montrer aux racistes blancs qu'un pays nouveau se construisait et que, contrairement à ce qui avait été dit, les noirs de Rhodésie ne devraient pas attendre 2035 pour prendre leur destin en main. Latmosphère resta surréaliste. Neville Garrick, lingénieur rasta qui assurait la production des concerts des Wailers, avaient orienté son impressionnant dispositif de façon à pouvoir faire entendre la musique à la foule restée en dehors du stade, dans des conditions plus que satisfaisantes. Pour cela, plus de 40 ensembles de baffles, tweeters, mixers et jeux de lumières avaient été mobilisés. Ce nétait pas le convoi de semi-remorques qui suit aujourdhui le Rolling Stones circus mais, pour lépoque et pour le lieu, leffort était considérable. Le résultat était à la hauteur : la puissance sourde et lourde de la batterie sentendait dans le ciel africain de la capitale libérée tandis que lénergie, la force spirituelle, lhistoire et lémotion du reggae se diffusaient autour du stade. Aussi, lorsque Marley gémit "we dont need more trouble" (War), latmosphere devint plus calme.
Les deux dernières minutes concédées par le colonisateur sur le départ étaient quinze, les Wailers chantèrent "Africans a liberate Zimbabwe". La foule reprit le refrain et Bob conclut son show en appelant à lunité pan-africaine, composante essentielle du message rasta.
Bob réédita lexpérience le lendemain, offrant un concert gratuit à 100 000 personnes, les pauvres, les chômeurs et les ouvriers qui navaient pas pu assister aux célébrations depuis les gradins du stade. Les Wailers furent particulièrement bons, jouant avec une énergie proche de lextase, bien que Bob Marley parut un ton en dessous de sa forme habituelle, sans doute un peu dépité par les gaz lacrymo de la veille et affaibli par la maladie. Pour lui, un nouveau combat débutait.
Les Wailers passèrent une semaine au Zimbabwe, se comportant en véritables ambassadeurs de la Nation Rasta. Ils organisèrent des matches de foot amicaux, rencontrèrent le Président Canaan Banana et les guérilleros dans leurs camps.
DISCOGRAPHIE COMPLETE / PAROLES / TRADUCTIONS / GALERIE PHOTO