Ses guides spirituels

 


Jesus
Tolstoï
Ruskin
Thoreau

Jésus


Selon Gandhi, toutes les croyances constituent une révélation de la vérité. À Louis Fisher, en visite chez lui, qui s'étonnait de voir sur le mur de sa chaumière une image de Jésus sous laquelle était inscrit : "Il est notre paix", le Mahatma lui répondit : "Je suis chrétien et hindou et musulman et juif. C'est d'ailleurs pour cela qu'il a été assassiné. Certains bigots l'accusaient même d'être secrètement chrétien. Il était surtout attaché à Jésus parce que Jésus possédait une immense force d'amour. Quant au christianisme disait-il, il a été dénaturé par Saint Paul et il est devenu la religion des rois.

Gandhi était avant tout hindou mais après l'hindouisme, la religion qui l'attirait le plus était le christianisme tel que décrit dans les évangiles de Mathieu, Jean, Luc et Marc. Aux missionnaires qui s'efforçaient de le convertir, il conseillait : "Faites de nous de meilleurs hindous, cela sera plus chrétien que de nous convertir."

Étrangement, les chrétiens de son temps le considéraient comme étant dans l'histoire, l'un des hommes qui aura le plus ressemblé au Christ. Louis Fisher, dans son livre "La vie du Mahatma Gandhi", cite le Révérend K. Mathew Simon, de l'Église syrienne orthodoxe de Malabar, qui lui écrivait au sujet de Gandhi : "Ce fut sa vie qui me démontra plus que toute autre chose que le christianisme est une religion praticable même au XXe siècle."

Le Mahatma, tout hindou qu'il fut, montra que l'esprit du Christ pouvait être appliqué dans les temps modernes. Il ne prêchait pas sur Dieu; par son attachement à la vérité, son détachement des choses matérielles, son amour pour la non-violence et son dévouement sans limites à la cause des intouchables, il était l'incarnation vivante du Sermon sur la montagne.

C'est d'ailleurs par la lecture du Sermon sur la montagne que Gandhi fut séduit par l'enseignement du Christ. Sur le conseil d'un végétarien qu'il avait rencontré dans une pension de famille durant son premier séjour à Londres, il entreprit de lire la Bible.

L'Ancien Testament le rebuta; il parvint à lire le Livre de la Genèse mais les chapitre suivants l'endormaient et le Livre des Nombres lui déplut énormément. Par contre, il trouva dans le Nouveau Testament des rappels à la Gîta. Il fut totalement séduit par les paroles de Jésus : "... Et moi je vous dis ne résistez pas à celui qui vous maltraite; si quelqu'un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui la gauche. Si quelqu'un veut votre robe, abandonnez-lui aussi votre manteau."

Lors d'une visite à Rome, dans la Chapelle Sixtine, Gandhi s'arrêta devant le Christ en croix et pleura. "Devant autant d'amour, on ne peut s'empêcher d'être ému jusqu'au larmes." confiait-il à Mahadev Dasaï.

Nous verrons, dans d'autres articles, jusqu'à quel point Gandhi a vécu selon les enseignements du Christ. Devants ses juges, il demandait souvent qu'on lui impose la peine la plus sévère; le sacrifice de ses disciples se présentant sans défenses devant leurs bourreaux à l'entrée des mines de sel, le dénuement dans lequel, le citoyen le plus honoré de l'Inde a vécu..., Gandhi ne possédait rien à part un sari, des sandales, une paire de lunettes, une montre de poche, trois petites statuettes représentant des singes les mains sur la bouche, les yeux et les oreilles, un bout de crayon et un petit calepin.

À tous ceux qui professent :
"Hors de l'Église point de salut"
Je préfère, comme Brassens dire à Gandhi,
«Quand le croque-morts t'emportera, qu'il te conduise à travers ciel au père éternel...»


Tolstoï


La première opinion partagée par ces deux grands maîtres de la pensée portait sur la futilité de la construction de la Tour Eiffel. En visite à Paris pour l'Exposition Universelle, Gandhi considéra que la Tour : "N'étant somme toute qu'un immense jouet, était une excellente preuve de ce que nous sommes tous des enfants que séduisent les hochets." Tolstoï, pour sa part, était le principal de ses détracteurs et il proclamait à qui voulait l'entendre qu'elle était un "monument à la folie".

Plus tard, après avoir lu "Le Royaume de Dieu est en vous", Gandhi nota que "La Russie lui avait donné en Tolstoï, un maître (gourou) qui a donné une base raisonnable à l'Ahimsa (la non-violence). L'affinité entre les deux penseurs était telle que Gandhi croyait que : "Quand l'Inde sera libérée et la Russie spiritualisée, il n'y aura plus de différences entre elles." Leur relation débuta par une lettre que le jeune avocat adressa de Londres à Tolstoï vers la fin de l'année 1909. Dans cette lettre, Gandhi expose les injustices subies par les Indiens du Transvaal suite à la promulgation par les Anglais d'une loi inique, avilissante, immorale et discriminatoire.

Il lui demandait l'autorisation de publier à 20,000 exemplaires la célèbre Lettre à un Hindou adressée par Tolstoï à C. R. Das, un révolutionnaire reconnu par "l'intelligentsia" hindoue. Tolstoï lui accorda l'autorisation demandée et une relation épistolaire s'établit entre les deux grands hommes. À travers les continents, le comte Léon Tolstoï guidait la pensée du jeune avocat.

Ce fut grâce à ses séjours en prison que le Mahatma put approfondir la pensée de Tolstoï. Il profitait du temps libre dont il disposait pour lire les livres religieux comme le Ghita, le Coran et la Bible et faire connaissance avec les œuvres d'auteurs dont : Socrate, Tolstoï, Ruskin, Bacon, etc. Il en venait même à regretter que les peines imposées par les juges britanniques soient si courtes.

La doctrine de Tolstoï avait tout pour séduire Gandhi. En quelques mots, elle se résumait ainsi: "Un chrétien ne se dispute pas avec son voisin; il souffre lui-même sans résistance plutôt que d'attaquer ou faire usage de la violence. Par son attitude à l'égard du mal, il se libère et il aide le monde à se libérer de toute autorité extérieure." Tolstoï prêchait le refus de servir des gouvernements mauvais ou de leur obéir. Il croyait qu'aucun gouvernement ne tiendrait devant des hommes de ce genre. Gandhi en fit la preuve aux dépens du général Smutts qui ne comprit jamais ce qui lui arrivait lorsque les Indiens inspirés par Gandhi entreprirent de défier son autorité par la désobéissance civile. "La situation des gouvernements devant de tels hommes est si précaire qu'il faudrait très peu de chose pour les réduire à néant" disait Léon Tolstoï.

Il disait encore : "Le royaume de Dieu est en vous... Vous êtes ce que vous faites de vous... Vous n'êtes pas libres parce que vous ne vous libérez pas... L'amour de la vérité mène au royaume de Dieu..."

Par quel miracle de l'Histoire ces deux hommes si différents ont-ils pu unir leur destin. Leur révolution n'était pas économique ni politique, elle était celle de l'Esprit.

Au moment de la Déclaration de l'Indépendance, le gouverneur britannique déclara : "N'oublions pas que L'Inde a gagné son indépendance grâce à la théorie de la non-violence de Gandhi." Bien que Tolstoï eut une influence considérable sur la pensée du Mahatma, les deux hommes avaient une vue différente sur le sujet. Pour Tolstoï, la non-violence était une fin en soi tandis que pour Gandhi, elle était un moyen d'action.

 


Ruskin


John Ruskin est un auteur et un réformateur anglais qui a eu une grande influence sur le Mahatma. Au début du siècle, alors que Gandhi résidait à Johannesburg au Transvaal, son ami Henry S. L. Polak lui prêta un petit livre intitulé "Unto this last" (Jusqu'au dernier) de ce Monsieur Ruskin.

Gandhi se mit à lire le volume dès le départ du train qui l'amenait de Johannesburg à Durban et il en poursuivit la lecture toute la nuit. Ruskin dans cet ouvrage prêche la dignité du travail manuel, recommande de vivre simplement et insiste sur les complications débilitantes du système économique moderne.

On y lit que : "La richesse est un pouvoir comme l'électricité; elle agit par ses inégalités ou ses interruptions. La puissance de la "guinée" dans votre poche dépend complètement de l'absence de "guinées" dans la poche de votre voisin. S'il ne désirerait pas votre "guinée", elle ne servirait de rien." En conséquence, ce que l'on désire réellement sous le nom de richesse, c'est essentiellement le pouvoir sur les autres.

Il recommandait à l'homme de chercher non pas une richesse plus grande, mais des plaisirs plus simples.

Il n'en fallait pas plus pour séduire Gandhi.

Ce fut un coup de foudre.

Sous l'influence de ce texte, Gandhi décida sur-le-champ de changer sa vie. Il fit l'acquisition d'une ferme à Phœnix, il s'y installa avec sa famille et quelques associés, et le groupe entreprit de vivre en harmonie avec les principes qu'il venait de découvrir.

À la lumière des enseignements de Ruskin, Gandhi introduisit autant de simplicité que possible dans sa maison d'avocat. Son goût pour le travail manuel allait croissant et il entraînait son entourage à suivre sa discipline.

Son ami Polak l'aidait à faire tourner la roue du moulin à farine et même les enfants et l'épouse de Gandhi y prêtaient la main à l'occasion.

Un domestique veillait à l'entretien de la propriété mais il vivait dans la maison comme un membre de la famille. Chacun l'aidait dans sa tâche et Gandhi s'occupait lui-même du nettoyage des cabinets au lieu de demander au domestique de le faire.

Ce livre révéla à Gandhi ses propres convictions. Il en dégagea plus particulièrement les trois enseignements suivants:

Au cours de son premier séjour dans les prisons britanniques d'Afrique de Sud, Gandhi commença à traduire "Unto this last" en gouyarati sous le titre de "Sarvodaya" qui signifie en français : lever, ascension de tous. Il regrettait que sa peine de prison soit trop courte pour lui permettre de terminer son travail.

Par un étrange concours de circonstances, quelques années plus tard, cette œuvre de John Ruskin, un anglais de grande renommée, dont l'œuvre circulait librement partout dans le monde, fut interdite par la police de l'Inde britannique.

L'attrait pour le livre censuré fut si grand que tous ceux qui l'achetaient payaient beaucoup plus que le prix de quatre "annas" demandé par Gandhi; les billets de cinq et dix roupies sortaient de partout, certains vidant simplement leurs poches de tout l'argent liquide qu'elles contenaient pour en faire l'acquisition. Gandhi se souvient d'un client qui lui a remis 50 roupies.

Le meilleur argument de vente était que ceux et celles qui l'achetaient étaient passibles d'arrestation et de prison pour achat de littérature interdite. Pour les supporters du Mahatma, être condamné à la prison c'était comme pour un canadien être reçu de l'Ordre du Canada ou pour un français de recevoir la Légion d'honneur.

Malheureusement, compte tenu du nombre et de la qualité des contrevenants, le gouvernement fit marche arrière et décida que la façon dont les ouvrages avaient été écoulés ne constituait pas une vente réelle. À la grande déception de tous ceux et celles qui souhaitaient être arrêtés, aucune accusation ne fut portée contre qui que soit.

Le ridicule ne tuait pas non plus en ce temps là...



Thoreau


Comment cet américain né le 12 juillet 1817 à Concord Massachussets a-t-il pu, 86 ans après sa mort, avoir une telle influence sur la libération de 300,000,000 d'Indiens vivant à des milliers de kilomètres des États-Unis?

Cet apôtre de la résistance civile a inspiré Gandhi, Tolstoï, Martin Luther King et, même aujourd'hui, il demeure porteur d'espoir pour tous les peuples opprimés.

Au cours de l'un de ses séjours dans les prisons britanniques Gandhi a emprunté le livre de Henry David Thoreau intitulé "La désobéissance civile". Cet ouvrage ne le quitta plus et il savait par cœur tous les passages clés. Chaque fois qu'il allait en prison, il en profitait pour approfondir sa compréhension de ce texte qui l'inspirait.

Au moment où il fit la connaissance de l'œuvre de Thoreau, Gandhi avait déjà défini sa politique de résistance passive qu'il avait baptisé "satyagraha", un mot en "gouyarati" qui signifie : attachement à la vérité. Il préférait l'expression résistance passive à celle de désobéissance civile retenue par Thoreau.

Malgré cela, l'essai "La désobéissance civile" de H. D. Thoreau a grandement influencé le Mahatma dans son action. Il disait de ce texte qu'il était magistral et qu'il avait fait sur lui une profonde impression. Le passage dans lequel Thoreau parle de son séjour en prison était souvent cité par Gandhi : "Je ne me sentais pas un seul instant emprisonné, et les murs me semblaient être un gaspillage de pierres et de mortier. ... Je constatai que l'État était stupide et craintif... je perdis tout respect pour lui et je le pris en pitié."

Plus loin, "... La seule obligation que j'aie le droit d'accepter, c'est de faire à chaque instant ce que je crois juste. Agir justement est plus honorable que d'obéir à la loi." Ennemi de l'esclavage des noirs, Thoreau proclamait que : "Si un millier d'hommes, une centaine, dix, que dis-je ? Si un seul honnête homme, dans cet État du Massassuchets, cessant de tenir des esclaves, était prêt à se retirer de cette société et était enfermé pour cela dans la prison du pays, cela signifierait l'abolition de l'esclavage en Amérique."

Et encore... : "Tous les hommes reconnaissent que la révolution est un droit, c'est à savoir le droit de refuser d'obéir, de résister à un gouvernement, lorsque sa tyrannie et son poids sont grands et insupportables."

Au moment où Gandhi lisait ces textes pour la première fois, il était en prison exactement pour ce motif. Ironiquement, comme on l'a vu plus haut, le livre avait été emprunté à la bibliothèque de la prison.

Des millions d'hommes avaient lu Thoreau avant lui mais Gandhi, comme il l'avait fait pour les écrits de Ruskin, de Tolstoï et même pour le Sermon sur la montagne de Jésus, prenait au sérieux leurs paroles et leurs idées et il les traduisait en action. Lorsqu'il acceptait une idée, il croyait que c'était la trahir que de ne pas la mettre en pratique.

 

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